vendredi 28 novembre 2014

Au bord de l'Empire du Milieu

Mecanique

Voici donc le denouement du dernier episode: La reparation du velo dans le seul magasin de la ville nous demandera beaucoup de discussions et d'attente dans l'atelier. Le reparateur de velo est sympathique mais la communication est difficile. Alors que rien ne semble possible (1), nous finirons a force d'acharnement par exhumer de l'arriere boutique une jante puis un moyeu de 32 rayons (au lieu de 36), puis une cassette 9 vitesses, puis un pedalier 44 dents (au lieu de 48) et nous pourrons enfin repartir apres 4 jours de bataille avec une transmission et une roue arriere neuve. 


Le reparateur, fier du travail accompli et le tandem flambant neuf.
Les rues et boutiques de la nouvelle ancienne Lidjiang...
Le panneau resume la situation de la vieille ville "En construction, soyez patients!"


Naxiland 

Durant nos allers retours quotidiens entre notre auberge et l'atelier nous aurons l'occasion de visiter Lidjiang, consideree par le lonely planet comme la perle du Yunnan. Helas, comme pour Kashgar le centre historique a ete la proie des investisseurs hans pariant sur ce secteur en pleine expansion qu'est le tourisme interieur. Dans l'entousiasme chinois pour la modernite, les vieux batiments ont ete rases et remplaces par des repliques clinquantes abritant de monotones boutiques de bibelots, restaurants et des hotels au personnel han deguise en habits "locaux" - comme pour l'architecture, comprendre une version folklorique et commerciale de l'original. Lidjiang n'est plus qu'une triste galerie de boutiques identiques en carton pate bondee de touristes chinois, un vrai marche de noel avant l'heure. Notre visite de Dali, a quelques centaines de kilometres plus au sud, avec ses repliques neuves de portes monumentales et ses galeries marchandes, nous laissera les memes impressions negatives de parc d'attraction destine a ce tourisme chinois de divertissement qui n'a cure du patrimoine ou de l'histoire (2).


Vendeur ambulant de tofu
Par hygiene ou volonte de souder les equipes, les commerces obligent quotidiennement leurs employes a danser la zumba dans la rue...
Du Sichuan au Yunnan, partout on joue de l'argent. Les tables automatiques de majong fleurissent jusque dans les plus modestes arriere boutiques.

Le tigre qui saute la montagne du dragon de jade enneigee

Apres Lidjiang, notre route s'incurve vers le nord pour rejoindre les gorges du tigre qui saute, site nationalement repute. La petite route de montagne s'enroule autour du Mont Satseto, "la montagne enneigee du dragon de jade", un farouche pic rocheux coiffe d'un glacier culminant a presque 5600 metres, nous offrant un spectacle remarquable durant toute la boucle. Sur ce site frequente, un telepherique permettant d'atteindre 4500 m d'altitude propose de l'oxygene des 3000m! Apres quelques cols, nous nous enfoncons dans les fameuses gorges sur une petite route de corniche surplombant un abime ecumant et criblee d'impacts de blocs echappes des hautes parois qui la dominent. Le Yunnan abrite de nombreuses ethnies, ce qui se manifeste a travers la variete des coiffes et habits que nous rencontrons. Les femmes Naxis, peuple proche des tibetains, se reconnaissent notamment a leur blouse et beret bleus et une cape epaisse en forme de T protegeant la robe de l'usure du sac a dos en bambou utilise pour le marechage.



Un peage inattendu nous reclame 200 yuans pour acceder au premier site classe 5A de Chine (3) 
Un peu plus loin, un vrai beau paysage, gratuit celui la! La couverture grise est pierreuse.
L'entree des gorges demande de traverser la riviere par un bac, tout en bas sur la photo. Le chemin en terre est peniblement escalade par un camion-cochon.
Le peuple Naxi fonctionne sur un modele matriarchal qui confere autorite aux femmes agees. Signes exterieurs: celles-ci se retrouvent dans des lieux publics pour discuter et fumer et n'hesitent pas a nous aborder pour observer et commenter le tandem. Ce comportement est chose inedite de la part de femmes durant notre voyage, souvent plus timides et confinees dans les foyers. D'un maniere generale nous observons qu'en Chine les femmes sont presentes dans les administrations, la police, et meme -fait surprenant pour nous- dans les travaux publics ou on les voit manier la betoniere ou monter des parpaings, ce qui doit singulierement en changer l'ambiance!


Un village s'eleve sur un promontoire au milieu de l'immense vallee, creant un horizon grandiose.
Impressionnante coiffe traditionnelle. A quelle ethnie ce vetement appartient il?
Culture du riz sur fond d'eolienne. Deux facons de peupler le sol pour produire de l'energie. 

Cuisine

A l'approche de Dali, des echoppes vendant des pains singuliers sur le bord de la route attirent notre attention. Nous gouterons, savourerons puis observerons avec interet la fabrication des babas, une sorte de crepe levee fourree a la melasse de sucre ou aux legumes. La methode est encore une fois dument documentee pour une reproduction lors de notre retour en France. Depuis notre arrivee en Chine, la liste des delicieuses recettes s'allonge tant les plats et gateaux proposes sont divers et savoureux. La cuisine constituera incontestablement notre meilleur souvenir du pays.
Sechage des pates dans un marche 
Les delicieux babas, tous chauds sortis du four!
Cuisson des petits pains a la vapeur, consommes au petit dejeuner.

Les maudits camions chinois

La grosse route nous rattrappe en sortie des gorges, avec ses colonnes de camions qui nous depassent en nous assourdissant de leur klaxon et en nous crachant leur fumee noire au visage, ou des pick-up qui doublent dans les virages et jaillissent face a nous nous obligeant en brusques embardees dans le bas cote. Cette conduite ecervelee deplorable (4) apporte son lot inevitable d'accidents, nous trouvons regulierement autour des virages des debris de verre ou des camions dans le bas cote, l'avant enfonce par des collisions frontales. 

Apres quelques heures de pistes, pilotes et machine sont macules de projections.
Sortie en amoureux sans les enfants sacoches. Devant la porte sud de Dali. 
Centre ville de Dali. Memes boutiques de djembes et bibelots, meme foule. Seul le style des batiments construits 10 ans auparavant change de Lidjiang.

Le sud du Sichuan

Fatigues de cette cohue malodorante, nous accelerons notre sortie du pays par un bus jusqu'a Yongshong, ville a 500 km plus au sud et 1000m plus bas. La, l'architecture change radicalement et accuse l'influence du Laos: les toitures grises relevees ornees de dragons font place a des couvertures rouges aux frontons ornes de phenix dores. La temperature et l'humidite sont remontees, le climat change: aux etals des fruitiers apparaissent des noix de coco, mangues vertes et jacques: pas de doute, nous arrivons dans les contrees tropicales! 

Peinture d'un gros caillou a l'entree d'un village. Ces blocs font l'objet d'un veritable engoument de la part des municipalites, hotels et riches particuliers qui les multiplient a l'entree de leur domaine.  Des entreprises produisent meme de faux blocs arrondis a la disqueuse pour satisfaire la demande!




(1) Le magasin ne dispose pas de jante ni de moyeu a 36 rayons. On nous maintient en outre que les cassettes et chaines a 9 vitesses n'existent plus et sont introuvables et pour une raison mysterieuse, rien ne peut etre commande (le site du revendeur chinois doit etre censure :-)), idem pour les plateaux 46 dents, etc...

(2)... Et de la geographie, pourions nous ajouter. La plupart de nos hotes restent en general perplexes devant notre carte du monde: s'ils parviennent parfois (pas toujours) a situer la Chine, le reste du monde semble une nebuleuse. Une telle meconnaissance de la geographie est une situation nouvelle depuis notre depart. La question qui suit generalement enfonce le clou: "vous n'avez pas plutot une carte de Chine?".

(3)  En fait de site remarquable, il s'agira de terrasses en beton arrondies dans lesquelles s'ecoule une riviere de montagne, avec le mont Satseto en fond. Le panneau explicatif decrira le site comme une merveilleuse realisation d'embellissement d'un paysage par l'humain . Ce que nous appelons parc d'attraction fait ici l'objet de descriptions dithyrambiques: le secteur du tourisme chinois ne lasse pas de nous surprendre.

(4) Nous n'avons rencontre d'aussi mauvais conducteurs qu'en Ouzbekistan, mais ceux ci avaient l'excuse d'etre en general en etat d'ebriete...  Au rallye du conducteur le plus idiot, la Chine est donc favorite. 

dimanche 16 novembre 2014

Les bambous du Sichuan

16/11:Chers lecteur, les difficultés techniques pour accéder a internet se poursuivent (0), d’où l’austérité du présent article. Nous devrons attendre d'avoir atteint un pays civilise pour ajouter les photos...
28/11: voila qui est fait!

Arrivee a Chengdu
Sortis du Taklamakan, nous rejoignons la province du Sichuan en trois bus de nuit. Distance considerable, chaque bus couvrant une portion de route equivalent a 10 jours de velo. La progressivite de l'itineraire tant recherchee par le cyclovoyageur est alors brisee et nous passons brutalement des paysages desertiques de l'Asie Centrale a l'humidite tropicale et la vegetation exuberante de l'Asie du Sud Est  quelques 2500 km plus loin. Comme nous approchons de Chengdu, de riches jardins sortent de la brume, puis des grappes d'immeubles en construction qui marquent l'entree de la ville. La bulle immobiliere chinoise n'a manifestement pas encore creve et les projets poussent par quartiers entiers: dix mille habitants ici, cinq mille la...  Ici encore, les foules de velos de la Chine traditionnelle ont laisse place aux scooters electriques qui empruntent les pistes cyclables. Les nombreux ponchos et parapluies que portent les motocyclistes n'augurent rien de bon sur le climat de la region.

Premiers jardins en arrivant sur Chengdu
Les gros nounours du parc de Chengdu au moment du dejeuner. 
La bruine incessante nous force a sortir pour la premiere fois depuis l'Italie le materiel de pluie 


Les joies des climats tropicaux
La suite de notre itineraire prevoit de s'elever en direction du versant est du plateau tibetain ou l'on nous promet un aperçu de ce Tibet qui nous est interdit et une profusion de yacks. Pendant 4 jours nous suivrons des routes de montagne sinueuses sous une bruine intermittente au milieu  de forets luxuriantes de bambous s'effacant dans la brume. L'ambiance est fantastique! Mais le brouillard nous masque un pic a 7500m que nous longeons, et surtout ne permet pas a nos affaires humides de sécher la nuit. De plus, on ne verrait pas un yack a 50 mètres. Nous battrons donc en retraite vers le sud et, derrière un col que nous atteignons transis de froid et sous les flocons de neige, le climat change brutalement: les bambous et christophine pendantes en bord de route font place a des coniferes, vergers de cerisiers et néfliers... et le soleil reapparait bientot apres une semaine d'absence: nous sommes sortis de l'etuve!

Toutes les sufaces disponibles sont cultivees, des bords de route jusqu'aux cimetieres.
Technique acrobatique de labourage demandant de rester en equilibre sur la charrue. Un ancetre du wake boar? 
Comme en Allemagne, le revers des paysages verdoyants est dans le climat... On comprend d'ou vient l'idee de cuisiner a la vapeur! 

La grande muraille
 Jusqu'a Chengdu, les relations avec les chinois sont difficiles. Combien de fois notre interlocuteur repetera "meyo, meyo" (interjection negative) a nos premiers mots en agitant la main et nous indiquant la sortie de son etablissement ou en s'echappant prestement, refusant tout contact. C'est évidemment a la longue un peu vexant. Après réflexion, il semble que ce type d’incivilité ne soit pas tant un signe de xénophobie que la manifestation d'un profond handicap de communication (1). Persuades de leur incapacite a comprendre une autre langue, ceux-ci cedent a la panique et ne veulent ni comprendre les gestes, les dessins ou le mandarin imparfaitement prononce (2), preferant dans leur peur irrationnelle chasser l'intrus hors de leur monde.

Une des quelques vallees enserrees dans le plastique que nous croisons.
Sur les paysage vallonne s'accrochent les rizieres en terrasses
La ville de Panzhihua, sillonnee de poids lourds, accuse des niveaux de pollution surprenants.

Heureusement passée la ville de Chengdu, nous croisons des gens plus malins (3) et les contacts s’améliorent notablement a mesure que nous progressons vers le sud. Nous referons peu a peu l’expérience d'une hospitalité chaleureuse, disparue depuis le Kirghizstan: lors de notre parcours en altitude, on nous proposera systématiquement de planter la tente a l'abri,  on nous apportera des thermos d'eau chaude au dîner et le matin. Dans une petite ville de montagne, nous serons meme invites a dormir dans la salle d'attente d'une maternité et a partager le dîner et le petit déjeuner du personnel. Une autre fois, nous posons la tente sur une terrasse en béton qui se révèle être la place du village ou le soir une quinzaine de femmes viendront danser la zumba sur un remix techno chinois d'Edith Piaf. Instant memorable.  Au meme moment, un petit vieux, inquiet pour notre sante, nous apportera un kilo de riz. Cette bienveillance retrouvee nous redonne des forces et nous garde des generalites trop faciles sur ce grand pays.

Un temple taoiste dans les montagnes de Chengdu. La brume cree une ambiance dramatique. 
Bivouac dans la maternite. Nous passerons la soiree devant une serie larmoyante que les infirmieres de garde passent sur un grand ecran.
Bivouac a 300 m d'un parc eolien. Nous passerons une nuit difficile... a cause des aboiements du chien du voisin.

Nous sommes un soir  invites a finir les restes du mariage: l'occasion de gouter les pattes de poulet. Mange Marlene, il ne faut pas les vexer!
Boulangerie a Chengdu proposant toutes sortes de petits pains a la vapeur. Nature, fourres a la viande, au sucre... Encore des recettes a essayer au retour!
Porc au petits pois bien pimente et salade de racine de bambous encore plus pimentee!

Les avaries mécaniques
Deux cent kilomètres avant Panzhihua, nous découvrons une fissure sur le moyeu arrière. Allégeant au maximum la roue affaiblie (le gros doit passer devant, Marlene reste tout le temps a l’arrière), nous rejoignons cette ville en serrant les fesses. Panzhihua est une hideuse cite minière aux abords sillonnes de camions fumants qui soulèvent en vrombissant une épaisse poussière noire et klaxonnent a tout va. Le seul réparateur de vélo n'a pas de pièce de rechange mais nous découvrons en outre en démontant la roue une large fissure dans paroi interne de la jante qui n'augure rien de bon. Il nous faut malgré tout repartir. Nous parviendrons dans un suprême effort a rejoindre 270km plus loin Lidjiang (Yunan) ou la paroi externe de la jante se fissurera a son tour a quelques kilomètres du réparateur...


Pourquoi utiliser un porte bebe si celui-ci s'accroche assez fermement?
Partie d'echecs chinois a la pause du chantier. La fureur des jeux habite les habitants du Sichuan.
Un dentiste de rue proposant ses services au marche. 
Le reparateur de cycles chassera t-il les barbares faisant irruption dans sa boutique  d'un "meyo, meyo" ? Arriverons nous a trouver les pieces necessaires au remplacement de la roue arrière pour poursuivre notre voyage? Vous le saurez amis lecteurs, lors de notre prochaine connexion a internet.


(0) Les cafés internet ne semblent plus interdits aux étrangers (le climat se detend par rapport au Xinjiang) mais, ce qui revient au même, ils refusent l’accès sans une piece d'identite chinoise a puce que nous sommes bien incapables de fournir.  Le niveau de filtrage des sites internet ferait passer l'Iran pour un pays libre, a la censure s'ajoute que les moteurs de recherche locaux fonctionnent très mal et renvoient en général sur des sites chinois (on peut aussi utiliser bing...) et internet est particulièrement lent, ce qui a l'avantage de nous réapprendre a vivre sans ce moyen de communication.
(1) Un parallèle peut être établi avec les expériences de plusieurs amis étrangers en visite a Paris se plaignant de l’indélicatesse de la population refusant hargneusement de comprendre l'anglais.
(2) Il arrive même que nous nous fassions comprendre par l’intermédiaire d'enfants qui, moins complexés, traduisent nos gestes a des adultes...
(3) Pour les chinois de langue maternelle autre que le mandarin, le fait de connaître deux langues avantage certainement la capacite de communication. Nos pires expériences seraient-elles avec des mandarins monoglottes?


Marlene, a la pompe, explique au employes perplexes que nous voulons 33 cL d'essence pour notre rechaud.
Panneau a l'entree d'un temple: l'absence de bruit de moteur indisposerait elle le repos des moines?

mercredi 5 novembre 2014

la traversee du Taklamakan

Itineraire:

La route sud du Taklamakan suit un couloir d'une centaine de kilometres de large entre le desert et le plateau tibetain d'ou emergent des sommets entre 6 et 7000 metres. Le debut de la route passe meme a 200 km du K2, deuxieme plus haut sommet du monde avec ses 8611 metres.
L'itineraire prevu est long de 1500 km et se compose d'une premiere moitie assez habitee, mais sur la deuxieme les villages sont plus distants (>100km) et plus petits jusqu'a la ville de Charklik. Un internaute pretend meme qu'il s'agit de campements temporaires, ce qui peut poser des problemes d'approvisionnement en eau. Au dela, le choix est offert entre rejoindre la route nord pour Turpan, ce qui constitue un important detour, ou continuer vers l'est jusqu'a Golmud avec un col a plus de 4000 metres. Personne ne peut nous renseigner a Kashgar sur l'existence de bus quittant Charklik. En outre, l'hiver arrive et nous prevoyons d'y arriver trois semaines plus tard. Quelle sera la temperature a ce moment la a proximite du plateau tibetain? Nous nous lancons donc sans trop d'information mais en prevoyant d'aviser sur place, nous reservant la possibilite de prendre un bus ou un camion si le temps se gate...

Carte en relief du desert du Taklamakan et les routes nord et sud. Kashgar se trouve tout a gauche, Charklik tout a droite.


Kashgar-Hotan

Le 6 octobre au matin, nous quittons avec regret l'auberge du chameau et nos deux comparses allemands qui -les faibles!- prendront un train jusqu'a Xian, derniere etape de la route de la soie. Les 600 premiers km de route jusqu'a Hotan, irrigues par un chemin de fer, comportent des villages espaces d'une trentaine de km entoures de grandes exploitations agricoles. Si cette densite facilite les approvisionnements, cela n'est pas sans poser probleme pour le couchage. En effet, pour la premiere fois depuis notre depart, nos demandes de poser la tente sont systematiquement repoussees avec indifference (1) et nous devons trouver des zones inhabitees ou attendre la nuit tombee.

Les au fur et a mesure que nous nous eloignoins de Kashgar, les oigours rencontres semblent subir la mauvaise influence de leurs colons hans: outre l'hospitalite mesuree, la cordialite se fait moins spontanee. Presque lasses jusqu'ici des incessants saluts et klaxons sur la route, nous croisons maintenant voitures ou motos nous observant avec attention mais en silence et sans repondre a nos signes. Enfin, le haut niveau d'hygiene apporte par l'islam en Turquie et en Iran (notamment fontaines et savon omnipresents), quoique s'etant un peu degrade en Ouzbekistan (reapparition du papier toilette, rarefaction de l'eau), subit une chute considerable en Chine: on se lave peu les mains et sans savon, on crache a tout va, y compris sur le sol des restaurants ou les gens jettent egalement leurs dechets.(2)

Mais du sein de ces deceptions emergent quelques perles de generosites qui nous rappellent la proximite ce l'Asie Centrale et nous font oublier tout le reste: ici dans un restaurant ou nous commandons un the, un festin apparait sur la table, paye par les maries qui celebrent leur noce a cote, la un homme s'arrete au bord de la route pour m'offrir spontanement son couteau (3), la encore on nous donne des fruits ou des boissons.

Le triporteur, transport en commun du pays oigour
Nous commandons un the et un festin envahit bientot la table...
Au milieu de nulle part, un conducteur s'arrete, nous offre un melon puis disparait.

Lorsque nous parvenons a Hotan nous souhaitons faire halte apres 600km, mais d'autres difficultes commencent: les cafes internet sont interdits aux etrangers (4), de meme que la plupart des hotels pour des raisons inexpliquables. Cette regle nous vaudra dans chaque ville un calvaire systematique et une exasperation croissante pour trouver un hotel. A Cherchen, la patrone d'un hotel telephonera a la police pour confirmation, puis nous demandera de l'accompagner au commissariat. Et nous voila partis tous trois en triporteur electrique a travers la ville, Marlene sur un tabouret dans la benne, Olivier au volant a cote de la patronne (qui ne conduit pas). Mais nous essuyons un nouveau refus malgre l'insistance de cette derniere et, decourages nous irons planter la tente en sortie de ville.
a bord du triporteur electrique, en route pour le commissariat.
rencontre impromptue avec les gardiens du desert
samsas cuisant a l'interieur d'un four tandoori

Le soleil encore intense maintient la temperature autour de 20° en journee mais une brume bouche en permanence l'horizon et nous masquera les hauts sommets tibetains durant tout le trajet. A la nuit, la temperature chute parfois en dessous de zero, et nous nous precipitons dans la tente des que le soleil est couche.

Encore la police

Meme dans ces regions reculees du Djinyang, les tracasseries se poursuivent avec la police. Alors que nous empruntons une route secondaire plus courte en sortie de Khotan, un barrage nous arrete. Le probleme de ces controles est que la verification de nos passeports doit etre validee par un chef han, rarement present, ce qui allonge desagreablement l'attente. Une autre fois nous sommes plus chanceux car le chef han accompagne ses 3 collegues oigurs dans le vehicule qui s'immobilise a notre hauteur... Les premiers lisent nos identites sur le visa iranien (seule page en arabe), et nous interrogent en oigour, tandis que le chef qui n'en parle pas un mot semble perdu. "Ils sont allemands?" demande t-il en considerant nos passeports. "Et ou allez vous? -A Charklik. -c'est ou?" Hilarite generale, ses trois collegues lui expliquent que c'est la ville dans laquelle il travaille. Ah il est gratine le chef han! (5) Heureusement, ils n'insistent pas et nous laissent partir sans que la situation s'eternise.

passage du 7000eme km!
maintenance des 7000: inversion des pneus et changement des plaquettes de frein.
ces bornes nous accompagneront tout au long du trajet, de 3000 a 1500

Des mares d'eau salee

La deuxieme moitie du trajet a partir de Niya devient plus sauvage. Nous traversons d'abord une plaine marecageuse a sec couverte de longues herbes fauves. La circulation s'est tarie, nous apercevons moins d'un vehicule par heure.  Pour ajouter au cote dramatique, le bord de  route est jalonne de cadavres de beliers provenant sans doute des camions que nous croisons regulierement emplis a ras bord de ces betes et qui passent par dessus bord celles qui succombent durant la longue traversee.
Passe Cherchen, nous entamons la derniere portion de 300km, la plus sauvage et commencons a esperer. Le paysage alterne entre les dunes et de longues portions de marecages. Le deuxieme jour, alors que nous nous trouvons a court d'eau en milieu de journee, nous abattons notre derniere carte et allons puiser dans une mare... mais l'eau se revele atrocement salee. L'esprit agite nous repartons et commencons a sentir la soif nous gagner malgre le litre d'eau restant. Devant nous s'enfuit un groupe de chameaux sauvages. Apres un temps qui nous parut bien long, nous apercevons un gardien de relai de telecommunication qui nous offre un de ses bidons. Puis 100m plus loin, des employes de la voirie nous invitent dans leur camp qui abrite un improbable verger rempli de poires dont nous nous regalons. On n'est jamais seul longtemps dans le desert.

la vegetation se rarefie...
bivouac dans les dunes et soupe chauffee au bois du desert
... pour ne laisser place qu'aux seuls dunes.

Retour a la civilisation

A mesure que nous approchons de Charklik, notre destination, les buldozers chinois apparaissent, nivelant les dunes pour les remplacer par des parcelles irriguees. Au vu du nombre de peupliers plantes et aux resultats deja visibles sur la premiere moitie du parcours, le paysage de cette route va etre radicalement transforme dans les prochaines annees. Nous arrivons a Charklik apres 1500 km et 15 jours apres avoir quitte Kashgar. La, un bus de nuit nous permet de rejoindre Golmud.


tandem dans la soute du bus
les bus de nuit chinois proposent deux etages de veritables couchettes. Grand confort!
Depuis le bus apparaissent enfin les hauts sommets tant desires.
(1) Sans doute du fait l'etroite surveillance policiere, les oigurs preferent ils limiter les contacts avec etrangers?
(2) Nous decouvrons l'existence de chambres d'hotel sans douche (meme exterieure!), au sol rempli de dechets ou comprenant des toilettes jamais nettoyees,...  Du jamais vu que nous ne pensions encore moins trouver dans la deuxieme puissance economique au monde. 
(3) Un magnifique poignard oigour ouvrage dans un etui en cuir dont le port est formellement interdit par la police -est parce que c'est une arme ou parce que c'est oigour?
(4) regle stupide, les telephones avec abonnement  internet etant autorises.
(5)S'ils n'avaient pas pris l'habitude de tout renommer en mandarin, ils seraient un peu moins perdus...

Bivouac a l'abri du vent au pied d'un tepouille