lundi 19 janvier 2015

La terre de Siam



Bangkok, capitale mondiale du tourisme et de la Thailande dont la seule evocation du nom suffit a faire apparaitre en nous une foule d'images lointaines et exotiques: jungle urbaine moite, grouillante de 8 millions d'habitants, levitant a quelques centimetres au dessus d'eaux troubles et odorantes peuplees d'insectes et de reptiles...  On nous met en garde sur l'impossibilite d'y penetrer ou d'y circuler a velo.

 une bonne surprise

 Alors que nous approchons de la ville, l'imagination en ebullition, la route s'elargit peu a peu, nous plongeant dans un entrelacement complexe de voies autoroutieres au traffic dense mais organise. A l'entree, le flux ralentit puis des pistes cyclables apparaissent qui nous deposent en douceur au centre ville. L'arrivee tant redoutee sur cette megapole se deroule facilement, sans comparaison avec Athenes ou Teheran. Malgre sa taille, Bangkok ne presente pas ce cote chaotique des metropoles qui les rend si oppressantes. Quelle que soit l'heure du jour ou de la nuit on est surpris par le calme qui y regne. Le traffic est dense mais sans embouteillage, les automobilistes conduisent en respectant les sens de circulation,  feux et pietons et sans klaxonner (quel soulagement apres la chine!).  Il faut noter que la ville affiche une densite de population modeste de 5000 hab/km2, soit la moitie de celle de Teheran ou le quart de celle de Paris !

D'une maniere generale, les habitants affichent une rare serenite, economisant leurs mouvements, s'exprimant avec bienveillance et sans elever la voix.
 

  La section animaliere du marche de Chatuchac propose poissons, tortues, lemuriens ou chats...siamois bien sur !
 proche du quartier chinois, la rue des fabriquants de buddhas.  la densite en temples du pays assure la perennite de l'industrie.
 vue de la ville depuis une des s  nombreuses navettes fluviales qui assurent des liaisons pour 15 bats (0.3 euro)

  Bangkok a pied

  La roue arriere de notre tandem apportee a un specialite  pour un rerayonnage complet (1), nous arpentons la ville a pied durant trois jours. Des que l'on quitte la route pour emprunter les bords des canaux verdatres, autrefois uniques voies de communication autour desquelles s'est construite la vieille ville, seul subsiste le glouglou d'une ecluse ou proliferent les jacinthes d'eau, couvert parfois par un cri de perroquet en cage ou un miaulement de chat.

Le quartier chinois presente peu de specificite par rapport au reste de La ville, la nourriture reste thaie et les cuisines de rue relativement peu nombreuses. Ce quartier s'etant construit lors d'une immigration remontant a plusieurs siecles, les chinois se sont melanges a la population au fil des generations. Le marche de fin de semaine de Chatuchak est l'equivalent d'un gros marche de noel, vendant foulards et babioles stereotypees  pour les touristes.  Seule la section animaliere semble avoir conserve un caractere plus local.


 Fronton d'une ecole  (chinoise) dans le quartier chinois.
 l'arrivee en ville est l'occasion d'un petit rafraichissement. Non, pas la moustache !
 vestige de piste cyclable le Long d'un canal. Et dire que L'on se plaint des voitures qui se garent sur les pistes a Lyon !

Longue vie au roi !  

La ville est aussi le lieu de residence du roi, dont les portraits omnipresents nous accompagnent depuis la frontiere : le roi en vacances, le roi en uniforme, le roi et la reine, le roi prend des photos, le roi pensif, le roi jeune, le roi vieux... Son contrat ayant debute en 1946,  Rama IX est actuellement le souverain en exercice au regne le plus long  (il lui manque 4 ans pour egaler celui de Louis XIV !). Il n'exerce aucun pouvoir politique, ayant vu passer plus d'une quinzaine de coups d'etat -une specialite du pays- depuis son entree en fonction, le dernier remontant a 2006. Mais la loi thaie condamne par 8 ans de prison le crime de lese majeste pour quiconque se rend coupable de critique envers le roi  !  Par prudence, nous arborons donc le drapeau royal a l'arriere du tandem :-).

 Le jour du depart, nous visitons le magnifique Wat Pho, temple abritant une myriade de bouddhas en or et un bouddha couche de 50 metres de long que le batiment protecteur parvient a peine a contenir.  Ce temple est une remarquable synthese des influences indiennes et chinoises : sculptures, images et bas reliefs bouddhistes melangent scenes de la mythologie hindoue et vieillards chinois aux longues moustaches.  Un curieux personnage de pierre gardant l'entree au chapeau haut de forme europeen attire notre attention.  Nous apprendrons par la suite qu'il s'agit de  Marco Polo.  Meme ici et age de 800 ans, ce venitien est une vraie star !


 Scintillement des phenix faitiers du temple de Wat Pho  ( Bangkok )
  Fleurs de nenuphar dans Le temple de  Wat Pho
 Utilisation du bras de Narcisse.

  Narcisses et fleurs de lotus 

   Depuis notre depart de France nous observons avec curiosite une tendance des touristes a prendre avant tout des cliches d'eux memes. Nous pensions avoir affaire a un trait culturel de l'asie centrale, puis de l'asie mais nous observons maintenant nos semblables occidentaux faire de meme. Le voyage se transforme ainsi en une collecte d'images de soi dans des lieux relegues au role de second plan:  "moi devant le bouddha, moi devant le temple, moi tout seul". Il est amusant de noter comme en anglais, selfy (autoportrait) est si proche du terme selfish  (egoiste). Cette tendance decoule sans doute dans la mise en scene publique de son image a travers les facebooks et autres reseaux sociaux connectant les solitudes... sans oublier les blogs , hum...  Nous decouvrons avec stupeur cette invention sinistre, si symbolique de cette nouvelle quete narcissique : une canne telescopique permettant de cliches de son propre visage a l'aide d'un telephone, que nous baptisons  "bras de Narcisse".

 Un remplacant exotique des hirondelles de nos contrees
  Moulin a vent pour le pompage des marais salants
 dans les canaux de Bangkok ou des marches flottants, on rencontre parfois ces enormes sauriens.

 Le Pays des canaux

Une fois sortie de Bangkok, la route reprend sa rectitude et sa planitude.  Des odeurs de poisson viennent chatouiller nos narines : la mer est proche ! Nous roulons le long de marais salants au bord desquels s'alignent des échoppes vendant sucre de coco et poissons seches. De nombreux canaux sillonnent les villes- l'eau est abondante ici- a la grande joie de cocotiers qui poussent en foret et dont les fruits emplissent des camions entiers.  La region semble fortement impregnee de la culture de la circulation aquatique. Certaines villes hebergent des marches flottants ou se rassemblent de fines barques en bois sur lesquelles des couples cuisinent toutes sortes de plats.

Nous dormons dans un temple au bord d'une large riviere boueuse sur laquelle naviguent ces barques elancees au milieu des jacinthes d'eau. Lorsque nous nous levons a 6:30, les fines barques garees a cote de nous ont disparu. Les moines sont deja partis faire leur quete matinale en pagayant...
marche flottant d' Ampawa : une cuisine par barque.
les fideles peuvent acheter une feuille d'or pour La deposer sur les idoles.
de retour de la quete matinale.

Une semaine de woofing

    Apres une grosse journee de 150 km de pedalage dans une chaleur eprouvante (le compteur affiche 37°) qui nous assomme des que nous nous arretons, nous atteignons la ville balneaire Hua Hin, ou se cotoient residences de luxe qui jaillissent regulierement en grands immeubles blancs, parcs d'attraction, restaurants pour occidentaux et terrains de golf :  nous arrivons dans une zone touristique. Mais ce n'est pas le golf qui nous attire ici : Nous avons rendez vous avec Kittima pour une semaine de woofing (2) dans une residence paradisiaque qui consiste en une dizaine de huttes en bambou ou terre crue entourant une piscine. Notre travail consiste en menus travaux, en compagnie de  Daniel, volontaire coreen dote d'un calme olympien. Apres l'arrosage des fleurs et du jardin, ou l'accrochage de panneaux d'indication, nous nous consacrons surtout a enseigner et preparer des recettes francaises pour les petits dejeuners : le pain, les confitures de mangue et de banane et le muesli maison sont adoptes. Ce quotidien passe entre bricolage, cuisine et rencontre de nouvelles personnes est riche et plaisant. Les journees sont longues mais ne nous donnent pourtant pas l'impression de travailler, si bien qu'apres 7 jours, nous quittons avec tristesse ce lieu et cette famille si chaleureux, en promettant de nous arreter si nous y passons au retour.

 la residence de Korawan et ses huttes en terre.
pains vapeur chinois contre pains au four francais
 marlene et kittima presentant leur tarte tatin a l'ananas


 Temple de  Bagkoon, devore par les racines de fromager.
 (1)   Celui-ci, heureusement plus degourdi que ses homologues precedents chinois et laotiens, decouvre le probleme : la roue a ete montee avec des rayons trop courts et de taille identique, d'ou une tension differente entre les deux cotes. L'ensemble est remplace par des rayons dt-swiss, qui au vu de leur prix (1 euro le rayon), devraient inchallah tenir plus longtemps !
(2)  Activite qui consiste a travailler dans le secteur biologique en echange du gite et du couvert.

mardi 6 janvier 2015

Le royaume Khmer

Un peu d'histoire

Nous voici donc au Cambodge, ce pays de 15 millions d'habitants borde par la Thailande, le Laos et le Vietnam se remet doucement de plusieurs decennies d'horreur qu'il est interessant d'evoquer ici tres rapidement: colonie francaise jusqu'en 1953, puis une quinzaine d'annees de paix avec un roi qui commet l'erreur de refuser de faire alliance avec les Etats Unis durant la guerre du Viet Nam. S'enchainent alors les habituelles strategies de la CIA: destabilisation du regime, lourd bombardement de civils (1) pour eliminer les terroristes Vietnamiens, coup d'etat puis installation du regime sanguinaire des Khmers rouges (1975-79). 3 ans et 1 million de morts plus tard, le Vietnam envahit le pays et chasse ces derniers qui entrent en guerilla. Finances par les Etats Unis, entraines par la Grande Bretagne, durant les annees 80 les Khmers truffent le pays de mines antipersonnel, imites par leurs ennemis Vietnamiens, qui continuent aujourd'hui de tuer ou mutiler les agriculteurs et leurs enfants en explosant au hasard des chemins. Pol Pot meurt en 1998, en 2003 le parti communiste Cambodgien gagne les elections et controle depuis le pays qui decroche actuellement la 164eme place sur 184 en terme de corruption. Pauvre Cambodge dont le seul tord a ete durant toutes ces annees d'etre situe au mauvais endroit. Apres de telles evocations, les larges sourires qui nous accueillent paraissent miraculeux.

Vues de la route

Rien ne transparait au premier abord de ces annees d'enfer qui ont meurtri le pays. La route se perd a l'infini dans une desesperante rectitude au milieu d'immenses rizieres parsemees d'arbres solitaires entre lesquels paissent paisiblement buffles d'eau et vaches a  (tres) grandes oreilles. La chaleur est intense a partir de 10h du matin. Ca et la subsistent sans doute de la derniere saison des pluies des mares boueuses ou pataugent de jeunes hommes en slip armes d'une nasse ou d'un filet a bords lestes qui nous saluent en souriant. D'autres ramassent des coquillages dans les flaques des champs. Nous remarquons entre les parcelles des lignes de neons permettant au moyen d'une bache verticale et d'une bassine de recolter les insectes qui seront vendus grilles au marche.




Maisons en bois sur pilotis, cocotiers et bannieres omnipresentes du CPP
Ecolieres sur la route arrivant a Siem Riep
Peche au filet dans les flaques des rizieres.

Arrivee!

Nous parvenons durant les 6 jours a maintenir une bonne moyenne quotidienne de 120 km et notre destination apparait enfin au soir du 24 alors que des dizaines d'enfants sortent de l'ecole, envahissant la route de velos et nous criant des hellos frenetiques. Pas moyen d'apprendre  a prononcer le bonjour khmer! Qu'il s'agisse de la langue ou des devises (2), l'identite cambodgienne s'efface au profit de celle des vainqueurs.

Siem Reap est precedee d'une interminable file d'hotels de luxe qui contrastent violement avec les bicoques sur pilotis que nous croisons depuis la frontiere. Nous sommes heureux de retrouver notre collegue basque Eneko qui nous a degotte l'hotel le moins cher de la ville.

Seuls reliefs emergeant des rizieres, les palmiers se detachent nettement dans le paysage.
Dispositif de recolte des insectes.
Dans les ruines des temples d'Angkor avec notre collegue Eneko.

Angkor plus

Nous passerons trois jours a visiter les impressionnantes ruines d'Angkor, vestiges de l'immense puissance et richesse de l'empire Khmer qui domina l'Asie du Sud Est entre le IXeme et le XVeme siecle. Les elements les plus remarquables sont ces temples ornes de tours monumentales a visages tournes vers les 4 points cardinaux, ces bas reliefs d'une finesse surprenante representant des scenes de la mythologie hindoue et bien sur, cliche dramatique surgissant a la seule evocation d'Angkor, les ruines envahies par les racines des ficus ou des fromagers. Beaucoup de travaux de renovation sont en cours, ce qui laisse esperer qu' une partie des 80 euros que nous payons a l'entree ne servira pas seulement a engraisser les apparatchiks du PCC...

Un des gardiens des temples
Porte monumentale a visages, gardee par une serie d'Asuras (demons hindous).
Bas reliefs caches dans une etroite tranchee.

Les fameuses ruines devorees par les racines des fromagers
Lignes d'Asuras durant le barattage de la mer de lait (3)
Retour en Thailande et ses innombrables temples colores!

Retour en Thailande 

Nous quittons ensuite le Cambodge, et notre collegue Eneko qui fait route au sud, pour retrouver la Thailande ou la circulation reprend de plus belle, toujours a gauche. La route est monotone: une quatre voie sillonnee de pickups ou pointe de temps a autre un restaurant au milieu de nulle part. Les drapeaux de Thailande et les photos du roi decorent la quasi totalite du parcours. Nous nous arretons par hasard dans une ferme a soie qui nous propose de decouvrir tout le processus de realisation du precieux tissus, de l'elevage des vers jusqu'au tissage. Il aura fallu attendre de quitter la si mal nommee route de la soie -qu'on devrait rebaptiser route du coton- pour rencontrer les fameux (4) bombyx. Mais meme ici l'etoffe est chere et nous renoncons a remplacer nos draps de soie, pourtant bien elimes.
Cocons de bombyx (vers a soie) prets a etre recoltes.
Recuperation des filins de soie a partir des cocons ebouillantes.
Habitants du parc national de Khao Yai.

Parcs et temples

Sur la route qui mene a Bangkok, nous nous arretons au parc national de Khao Yai, a propos duquel le lonely planet ne tarit pas de superlatifs dithyrambiques. Plus ancien, plus celebre et plus beau parc de Thailande, cette reserve abrite tigres, elephants sauvages et autres grand mammiferes. Sur la route du parc qui monte raide entre les arbres, un defile continu de pickups nous depasse en vrombissant. Comment apercevoir le moindre animal dans un pareil raffut? Il semble que toute la bourgeoisie de Bangkok se soit donne rendez-vous. Nous apercevrons quelques singes qui quemandent des friandises aux voitures et de nombreuses enormes crottes qui signalent une presence reguliere d' elephants sauvages. Ces derniers resteront helas invisibles, contrairement a nos congeneres: au camping nous retrouverons les 4x4 entre lesquels s'entassent pele mele des centaines de tentes. Nous prenons conscience de la date: le premier janvier est un jour ferie ici aussi.

Mais la bienveillance des thais a raison de notre effroi. Nos voisins nous offriront de la nourriture en quantite durant ces deux jours. Puis, sur la route de Bangkok,  nous reprenons notre habitude de dormir dans des monasteres bouddhistes. Apres une demande formelle a un moine impassible assis en tailleur, l'hospitalite nous est accordee: nous logerons dans la piece aux 100 bouddhas en or. Alors que nous nous installons, un moine nous offre un sac contenant boissons au soja et soupes chinoises. Nous remercions, puis un autre nous tend un nouveau sac. La scene se reproduira six fois,  nous inventorions perplexe notre lot: 8 boissons au soja, 15 soupes chinoises, une dizaine de cafes et chocolats en poudre, 4 savons, 2 dentifrices, 3 brosses a dents, un soin pour cheveux secs, une boite de lait concentre en conserve, une de maquereaux, un bocal en verre d'ovomaltine, deux paquets de lessive... Il s'agit sans doute des offrandes de fideles dont les moines n'ont pas l'utilite. Le tout doit peser 10 kg et risque de mettre en danger notre route arriere: nous nous appliquons donc consciencieusement a absorber l'excedent en quelques festins que nous realisons a la sante du genereux monastere.

Locataires plus nombreux du parc de Khao Yai.
Un elephant est passe par ici, la bouse est encore fraiche!
Une partie du festin offert par les moines que nous tentons d'ecouler au petit dejeuner.
Same-same.
(1) Le Cambodge detient le triste record du pays le plus lourdement bombarde de l'histoire.
(2) Le dollard est utilise au meme titre que le Real.
(3) Ayant permis aux Dieux de produire le nectar d'immortalite, c'est une longue histoire que nous pourrons vous raconter a notre retour.
(4) Dans tous les sens du terme. Les vers a soie etant tues par ebouillantage dans leur cocon, ils sont ensuite consommes grilles.