samedi 4 octobre 2014

De Tashkent au Kirghizstan

L'un de nous deux ne parvenant à s'habituer aux deux selles du tandem, nous en faisons envoyer une différente par les parents chez un des seuls membres du réseau d'hospitalité cycliste Warmshowers d'Ouzbekistan. Oskar nous reçoit aimablement chez lui pendant deux jours et nous permet d'entrer en contact avec la population russe de Tashkent(1), qui vit recroquevillée dans cette nostalgie typique des communautés post coloniales: aucun d'eux ne parle un mot d'Ouzbèque, ce qui restreint les contacts avec les locaux au strict nécessaire, refus d'utiliser les "nouveaux" noms de rues -nous tournerons un moment a la recherche de son adresse russe qui n'existe plus- idéalisation de la nation, on nous soutiendra que le "vrai" ouzbèque n'a pas les yeux brides ni la peau sombre, dédain général pour la population locale. Nous aurons la mauvaise idée de passer à la poste centrale pour envoyer un colis contenant quelques cadeaux et affaires. Dans ce grand immeuble de béton bât encore le coeur de la bureaucratie soviétique. Une salle gigantesque donne sur 5 guichets tenus par des hôtesses irascibles qui consentent, après nous avoir renvoyés d'un guichet à l'autre, scruté tout le contenu du colis et consulté pour chaque objet un imposant registre poussiéreux, à nous expliquer que nous devons faire 4 colis différents suivant la catégorie d'objet indiquée par le registre. L'envoi de la longue vue, classé dans la categorie "reliques", doit faire l'objet au préalable d'une demande d'autorisation au ministère de la culture, celui de la carte mémoire est tout simplement interdit. Bien. Nous enverrons donc du Kirghizistan.
batiment sovietique de Tashkent, decoré 
d'un peu de propagande nationaliste.
Diner français chez notre hôte Oskar: 
ratatouille catalane et tarte tatin.
La poste surdimensionnée de Tashkent.

Munis de notre nouvelle selle, nous filons vers la vallée de la Ferghana. De parts et d'autres de la route, dans les champs de coton, des groupes d'adultes et de jeunes s'affairent. L'Ouzbekistan est critiqué par la communauté internationale pour pratiquer le travail forcé des enfants: chaque année, à l'automne, les fonctionnaires et élèves de lycée (2) (donc plutôt de grands enfants) sont réquisitionnés par l'état pour la récolte bénévole du coton. Une sorte de service civique annuel sans doute plus utile qu'un service militaire. Fort de cette main d'oeuvre bon marché, l'Ouzbekistan est le troisième producteur mondial de coton. Toute l'eau disponible est utilisée pour l'irrigation (3), le reseau d'eau pour les habitations étant sous développé et fonctionnant par intermittence. La population bénéficie en revanche d'un réseau de gaz omniprésent et quasiment gratuit: on peut laisser la gazinière allumée la nuit pour économiser les allumettes! Invités un soir dans l'appartement d'une famille adorable, le neveu nous propose de visiter le lendemain son école et de rester une nuit de plus. Le lendemain, nous sommes accueillis par le directeur et deux professeurs d'anglais qui nous font une visite guidée. De retour dans notre famille, alors que nous passons à table pour le déjeuner, deux policiers font irruption dans la salle à manger, et après un bref interrogatoire en russe, disparaissent avec nos passeports. Quelqu'un au lycée nous à denoncés (4). Le repas se passe dans une ambiance tendue. Nous craignons évidemment de causer des problèmes à nos hôtes. Une heure plus tard au poste de police, on nous rendra cordialement nos passeports, en nous enjoignant néanmoins de quitter la ville sur le champ. (5)

Groupe de tous âges récoltant le coton.
Ils n'ont pas l'air très motivés.
Une classe de première littéraire (linguistique), 
mélange manifeste de plusieurs peuples. 
Observez les posters militaires au fond.
En route pour le poste de police 
accompagnés par nos hôtes 
bien decidés a recupérer nos passeports.

Après un beau col à 2300m, au cours duquel nous serons contrôlés cinq fois par la police (en entrée et en sortie de deux tunnels!), nous redescendons sur la vallée de la Ferghana, cette region la plus orientale du pays secouée il y a quelques année par des velléités séparatistes écrasées dans le sang et aujourd'hui placée sous contrôle serré de l'armée. Ici, malgré l'oppression de l'état, l'hospitalité est équivalente à celle que nous vivons depuis la Turquie. Nous prenons l'habitude de diner dans des Tchaihanas (des jardins de thé, l'equivalent ouzbèque du biergarten allemand), de grands préhauts abritant des estrades garnies de coussins sur lesquelles on s'assoit pour déguster un thé ou manger (6). Les gérants acceptent que nous y installions ensuite la tente pour la nuit. Cela facilite en outre le petit déjeuner.

Une Tchaihana et ses estrades en bois. 
D'autres pièces fermées peuvent accueillir 
des groupes souhaitant plus d'intimité... 
ou des cyclistes français pour la nuit!
Autre utilisation possible des estrades.
Un petit déjeuner en compagnie des 
gérants de la Tchaihana. Les chapeaux 
nous renseignent sans ambiguité: 
nous sommes en Ouzbekistan!

La vallée de la Ferghana est plus religieuse que le reste du pays, beaucoup de femmes sont voilées et l'accueil est plus chaleureux. Nous pousserons toutefois un soupir de soulagement passant la frontière sans que nos rares certificats n'aient été vérifiés. Nous quitterons l'Ouzbekistan avec un sentiment mitigé pour ce peuple si attachant gouverné par un état paranoïaque. Ce qui interrompt hélas la sensation de sécurité et de bienveillance générale à chaque contrôle policier.


Le réseau de gaz serpente jusque 
dans les villages les plus reculés, 
marquant les rues de ses arabesques 
métalliques.
Il semble qu'on extraye également 
du pétrole près de la frontiere kirghize.
L'Ouzbekistan nous marque par la quantités 
d'affaires transportées dans les voitures. 
Ici deux ladas en route pour le marche...
Pour la suite, le tandem parviendra t-il à passer les terribles cols du Pamir avant l'arrivée imminente de l'hiver? Vous le saurez, fidèles lecteurs, dans le prochain numéro!



(1) Tashkent compte 2.3 millions d'habitants dont 20% de russes

(2) Sauf services de police et hospitalier! Un enfant de nos hôtes nous explique que deux filières sont possible au lycée, une technique et une plus théorique débouchant sur l'université, cette dernière filière étant exemptée de récolte

(3) La catastrophe écologique de la mer d'Aral au nord ouest en est la conséquence la plus spectaculaire.

4) Une étrange règle en Ouzbekistan oblige les touristes à s'enregistrer lorsqu'ils séjournent plus de deux jours dans une ville. Ces certificats étant delivrés par les hôtels pour touristes, la règle semble interdire tout camping ou nuit chez l'habitant. En trois semaines, nous ne dormirons que dans trois hôtels et retiendrons donc notre souffle à chaque contrôle policier. Ces certificats ne nous seront par chance jamais demandés (ce ne fut pas le cas pour d'autres cyclistes croisés).

(5) Sans doute pour nous éviter de devoir réaliser un enregistrement dans une ville ne comptant aucun hôtel pour touriste. Il semble d'après nos hôtes que la police n'ait craint que nous ayons réalisé quelque espionnage dans la ville voisine, hideuse mais industrielle.

(6) Un thé y coûte 500 sums (1 $= 3000 sums), une pastèque de 3 kg 1000 sums (30 c$), un repas pour deux 20 000 sums (6$).

6 commentaires:

  1. Vous ne serez pas très loin de Clémentine qui vient d'arriver au Rajasthan pour environ 2 semaines, mais elle a pris l'avion, elle est moins sportive que vous;-)
    bisous

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  2. salut les copains !
    vous avez l'air de bien vous amuser, ça fait plaisir ! merci pour ces belles photos et ces beaux récits !
    ça me fait penser que je vous dois toujours une selle....

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    1. (au fait c'était arnaud)

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    2. Salut Arnaud! On a renvoye une selle en France depuis le changement en Ouzbekistan, donc nous ne devrions pas en manquer a notre retour... :-)

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  3. Je suis surpris qu'Olivier ait nerveusement tenu le coup devant la gazinière allumée toute la nuit.. pour économiser les allumettes, c'est très très bon ça!
    ça a du être douloureux..

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    1. Ce fut en effet difficile. Mais cela aura l'avantage de m'apprendre la tolerance de retour en France :-)

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