mercredi 22 octobre 2014

On a roulé sur le Pamir

"Bienvenue au Kirghizstan!" (1) Apres quelques rapides formalités douanières au cours desquelles on nous demande -encore un pays ou la barbe n'a pas la cote!- les raisons de notre séjour en Iran et si nous avons visité l'Afghanistan, nous entrons dans ce pays sympathique qui ne demande pas de visa. Le peuple semble y jouir d'un pouvoir relativement important au vu des émeutes de la dernière décennie qui ont plusieurs fois renversé des chefs d'état jugés trop corrompus (2). Autre point positif, le kirghise est très proche du turc, contrairement à ce que nous avaient affirmé plusieurs ouzbèques -"on ne comprend rien à leur langue!", ce qui nous permet de nous sentir comme à la maison.

Coucher de soleil sur la grande rue de Osh

A deux pas de la frontière ouzbèque, Osh est la première grande ville que nous traversons depuis Tashkent. Nous y séjournons deux nuits pour nous mettre à jour de nos correspondances: impression des photos et envoi à nos hôtes iraniens et ouzbèques, blog, emails, etc...
Nous goûtons dans un restaurant un met délicieux: des rouleaux de pâté gros comme le poing, farcis d'un mélange qui n'est pas exclusivement composé de viande (rareté en Asie Centrale!) et cuit a la vapeur à la manière des raviolis chinois (appelés ici manti). On nous apprend que cela s'appelle des oromos et nous en commandons à nouveau le lendemain à midi et le soir (3), puis demandons la recette à l'homme qui les cuit à l'entree dans des paniers de bambou empilés en colonne. Il nous invite à repasser le lendemain matin.
Le lendemain nous ferons connaissance avec les cuisinières de l'arrière cour, ouzbèques et kirghises, et admirerons avec quelle dextérite elle réalisent toutes sortes de mets à base de pâte: oromos, samosas et mantis. La recette et les étapes seront dument consignées afin d'assurer une éventuelle reconversion à notre retour...

Le comptoir du boucher affiche la marchandise du jour
Confection des oromos dans l'étape cruciale:
le roulage du grand disque de pâte garnie
Les fières cuisinières tenant les plateaux d'oromos avant la
mise en vapeur. On en salive rien qu'en consultant les photos!

La route qui quitte Osh par le sud s'élève progressivement en zigzagant dans un paysage austère de montagne -la neige doit rester longtemps ici- qui doit nous mener trois jours plus tard au point critique de notre itinéraire: le col du Taldik, porte d'entrée de la chaine du Pamir vers la Chine. Nous sommes inquiets sur l'accessibilité du col car, suite à une nuit pluvieuse, la température à baissé rapidement.

Arrivés à la nuit tombante dans le bourg de Gulcha, nous sommes heureux de trouver au centre un terrain vague pour poser la tente. Nous serons réveillés à 4:30 par un concert de camionnettes, meuglements, braiments, hennissements et bêlements. Il semble qu'on décharge l'arche de Noé. La température étant de 5°, nous attendons le jour. Lorsque nous sortons la tête, quelle surprise: le terrain est submergé d'une marée dense d'hommes et d'animaux. Il s'agit du célèbre marché mensuel aux bestiaux de Gulcha! Nous resterons un moment à observer cette foule d'hommes en chapeaux qui s'affaire, racole, jauge les bêtes et négocie. Les négociations des prix sont réalisées en secret entre le vendeur et l'acheteur par le moyen de pressions des doigts exercées lors d'une longue poignée de main.

Passage d'un pont suspendu aux planches parfois pourries.
Marlène, prudente, prend des photos puis traversera à son tour!
Marché au bétail de Gulcha.
Une référence pour les amateurs de chapeaux.
La fameuse poignée de main du négoce, difficile à saisir.
A droite, le vendeur tente de convaincre l'acheteur
tout en envoyant des signaux de prix avec sa main.

Sur la route, nous croisons deux cyclistes allemands parvenus ici par la route nord (4) et rejoignant eux aussi la Chine. Nous montons ensemble le plus haut possible pour attaquer le col le lendemain. Levés un peu avant le jour, nous enfilons tous nos vêtements car le froid est mordant et partons à l'assaut du col sur les interminables lacets ou râlent les moteurs de camionnettes poussives.
Finalement le col du Tadik porte bien son nom, car comme pour le plat c'est la partie la moins appétissante de l'itinéraire qui se révèle la plus savoureuse (5). Le col, atteint vers 9h, est heureusement encore dégagé de toute neige et offre une premiere vue sur des sommets blancs. Mais c'est en arrivant quelques kilomètres plus loin à Sary Tash, petite bourgade à 3000m d'altitude, que le Pamir surgit dans son écrasante splendeur. Pendant deux jours nous roulerons sur cette mythique route du Pamir, mince ruban rectiligne de goudron au milieu d'une plaine immense ou galopent des chevaux par centaines sur un horizon barré par cette muraille d'une blancheur effrayante. Nous serions bien restés plus longtemps dans ce paysage fantastique, mais l'hiver semble s'installer et le vent glacial nous chasse vers de plus modestes altitudes.

Les longs lacets menant au col du Taldik.
Nous sommes à 3000 mètres, pourtant l'altitude n'est
pour rien dans la sensation d'écrasement
que ressent le voyageur qui aborde Sary Tash.
Le pic Lenine (oui, les soviétiques sont passés par là)
qui dépasse 7000m.

Arrivés près de la frontière chinoise en reconnaissance pour le lendemain, nous passons in extremis le soir même, une demie heure avant la fermeture annuelle pour 10 jours. (6) La douane chinoise aspire a une image de rigueur et de modernité. Des prospectus montrant une souriante douanière en élégant tailleur, clament que 90% des passages s'effectuent en moins de 20 minutes. Mais sous ce vernis germanique ne tarde pas à se manifester l'habituel chaos de l'Asie Centrale. L'entrée en Chine ne peut se faire hélas à velo. Nous devons emprunter un taxi accrédité (7) pour traverser les 200km de no man's land jusqu'à la deuxième douane et nous voyons défiler sous nos yeux dépités un paysage grandiose de montagnes rocheuses aux formes extravagantes qui eut constitué une des plus belles portion de notre itinéraire. A la deuxième douane recommence toute la procédure et nous entrons en Chine à la nuit tombée en songeant rêveurs au slogan de la douane entrevu 6 heures de procedures plus tôt:"confortable, instant, intelligent"...

Surpris par une tempête de poussière, nous trouvons
refuge pour la nuit dans la douce chaleur de la
maison de Mamurajan et de sa famille.
Sur une improbable route de crête surplombant l'immensité
à 3600m, le tandem est balayé par un vent démentiel.
Une étrange chimère nous observe: bon sang, une chèvre-lapin!

(1) Kirghizstan ou Kirghizistan? On trouve en France des deux orthographes. Comme tous ses voisins, ce pays porte le nom d'un peuple, ici les kirghises, suivi du suffixe "stan", qui signifie "pays des". D'où la préférence pour la première solution dans le texte.

(2) C'était du moins le cas jusqu'en 2009, mais depuis lors les dérives autoritaristes du pouvoir en place tendent hélas à rappeler l'Ouzbekistan.

(3) pour 2 soms l'oromo et 1 som la théière de 1L, nous nous faisons des festins pour 12 à 15 soms à deux, l'equivalent de 4 à 5$.

(4) Pologne, Ukraine,Kazakhstan, Ouzbekistan

(5) En Iran, la Tadig est la partie grillée, voire brulée au fond d'un plat de riz dont tout le monde raffole.

(6) Sur la dizaine de personnes successivement interrogées, la plupart nous affirme que, la frontière étant fermée samedi et dimanche, elle ouvrira une dernière fois le lundi avant les vacances. En réalité, elle sera ouverte au contraire exceptionnellement le dimanche avant fermeture. Contretemps que nous eussions trouvé fâcheux à cette altitude avec la récente dégradation du temps.

(7) Tarif à "négocier" avec le taxi, sachant qu'il n'existe aucune autre possibilité. Taxi qui boit et fume en conduisant, double toutes les limites de vitesse, réalisant de brusques embardées de temps à autres pour éviter un âne ou un chameau qui trotte sur l'autoroute!

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