samedi 27 décembre 2014

Sur les flots du Mekong

Navigation fluviale

Sortis enfin des mechantes pistes laotiennes, nous decidons d'accorder un peu de repos a notre monture en rejoignant Luang Prabang par le Mekong dans une peniche. Ce fleuve, un des plus grands d'Asie, prend sa source au Tibet, traverse le Laos dont il constitue une grande partie des fontieres (Laos/Birmanie puis Laos/Thailande), coupe le Cambodge en deux puis termine au Vietnam, pres de la fameuse Ho Chi Minh. Notre navigation n'en suit qu'une centaine de kilometres et s'ecoule au rythme paisible des flots. Nous passons entre de petits villages sur pilotis, collines et bouquets de bambous, croisant de temps a autre une de ces longues barques laotiennes en bois, terriblement instables (1) et propulsees par un moteur ou une perche en bambou .

 
Le tandem est tout simplement charge sur le toit. Nous esperons que le bateau ne tanguera pas trop.
La position de repos asiatique a laquelle nous commencons a nous habituer: bien pratique lorsqu'on voyage sans chaise 
Un des nombreux temples bouddhistes de Luang Prabang. Les phenix du faitage remplacent les dragons chinois

Luang Prabang

Accostant a le soir Luang Prabang, nous restons quelques jours pour visiter cette ville classee sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO. Etrange cite ou coabitent, entre les dizaines de temples, touristes asiatiques ou occidentaux en shorts et moines en robe safran. Nous y rencontrons deux cyclistes anglais Jacob and Russel partis de chez eux un an avant nous et Eneko, un basque descendant l'Asie en un mois. Ce joyeux trio nous propose faire route ensemble et nous demarrons un matin tous les 5 vers le sud en direction de la capitale.  

Marche de nuit de Luang Prabang qui propose de genereux buffets pour 15000 kips (1.5eur).
Echopes de legumes ou nous passons a nuit. Les marchands dorment aussi sur place pour surveiller les marchandises.
Les echoppes proposent de surprenants gibiers: rats, mais aussi ecureuils, et meme chauve-souris vendues par bouquets de 10.

Les dernieres montagnes

La route vers Vientiane traverse encore quelques collines escarpees et reste etonnamment sauvage pour l'artere principale du pays. Les quelques cols que nous gravissons dans la constante brume matinale (2)  nous offrent de magnifiques mers de nuages. Les journees passees en agreables discussions avec nos comperes s'ecoulent vite. Mais quelques avaries viennent troubler cette quietude: d'abord nos pneus Schwalbe Marathon, censes durer 10 000 km, commencent a donner des signes de faiblesses. Quand le pneu avant, deja recousu, se dechire dans une montee, miracle! Eneko sort un pneu neuf de rechange. Mais la tringle du pneu arriere se rompt  le lendemain (3) et ce dernier commence a dejanter de maniere chronique jusqu'a nous immobiliser sur le bord de la route en haut de la derniere descente. Plus de rechange, nos comperes doivent nous abandonner  et nous nous resignons a l'auto-stop. Peu apres, un 4x4 nous embarque dans sa benne et demarre en trombe. Nous traversons de paisibles villages en rugissant et en soulevant des nuages de poussiere . A l'arriere, le velo saute en tous sens et nous le retenons d'une main tandis que nous tachons de rester a bord de  l'autre. Apres une heure d'enfer, le genereux chauffard nous pose dans la prochaine ville ou un couple de francais en camping-car nous propose son aide. Et peu apres nous faisons l'acquisition d'un magnifique pneu thailandais pour 4 dollards. Le compteur affiche alors 9999 km. Schwalbe a failli a sa reputation!

Nos quatre tentes, a l'abri de la rosee matinale sous un auvent.
Le fameux cap des 10 000, au dela duquel commencent les ennuis mecaniques parait-il...
Justement: Marlene demonte la cassette devant nos anglais perplexes.

L'age ingrat

Mais ce n'est pas tout. Depuis l'entree au Laos les rayons de notre roue chinoise, pourtant neuve, cassent en serie. Un pepin inedit lors des 9000 premiers km. Apres notre depart de Luang Prabang, le rythme augmente pour se stabiliser a 2 rayons par jour. Si cela nous apprend a demonter et remonter cassette et disque en un temps record, nous voyons  fondre avec inquietude notre reserve de rayons de rechange, d'autant plus que nous n'avons encore rencontre aucun magasin de velo au Laos. Nous parvenons heureusement a refaire un plein de 30 rayons (15 jours) a Vientiane, ce qui devrait nous permettre si Dieu le veut de rallier Bangkok a 1200 km de la.

Derriere Vientiane s'etend une plaine a l'infini: nous sortons des contreforts de l'Himalaya pour entrer dans la peninsule sud-est asiatique. Altitude: 200m. L'entree en Thailande nous offre le passage de frontiere le plus rapide du voyage: pas de visa, ni fouilles, ni questions, un simple tampon atteste de notre arrivee. Premiere surprise: en traversant le pont de l'amitie Laos/Thailande, un camion nous fonce dessus, puis un deuxieme. Nous apprenons ainsi que la Thalande roule a gauche! Puis la route s'elargit considerablement, tout comme le traffic. Nous roulons a vive allure, a plat sur un bitume impeccable.

Premier jour en Thailande: une automobiliste nous offre un regime entier de bananes... a la grande joie de nos amis!
Une route secondaire thailandaise, dont seuls les temples ou les buffles d'eau viennent troubler la monotonie..
Un des innombrables temples qui bordent notre route.

Premiers tours de roue en Thailande

Des les premiers kilometres, un accueil chaleureux se fait sentir: saluts des automobilistes, pouces leves, larges sourires. On se croirait en Asie Centrale. Les plus petites inscriptions sur la carte cachent de grandes villes au traffic dense, aux grands supermarches. Apres la vie rurale du Laos, ce nouveau decor est un choc. Cette agitation n'a pourtant rien d'oppressant et les temples nous offrent de paisibles refuges pour la nuit.
Un soir que nous demandons l'hospitalite dans un petit temple, l'unique moine nous propose une salle pour dormir - au pretexte qu'il fait froid la nuit :-)- puis nous invite a diner. Les fideles du villages nous apportent alors de delicieux plats au lait de coco, puis recommencent pour le petit dejeuner. Le maitre des lieux nous conviera ensuite a une ceremonie au cours de laquelle il benira chacun d'entre nous pour la suite du voyage. Nous quittons ce temple plein de gratitude et emus. Une telle generosite nous plonge dans une reverie que viendra interrompre le claquement sec d'un rayon :-).

la cuisine thaie n'est pas qu'a base de lait de coco... Au centre, les larves de ver a soie que l'on mange apres avoir recupere le concon (de soie).
Encore un temple...
Horreur, les cafards ont envahi le riz! Pas d'affolement, il s'agit de l'accompagnement. Frits, ces arthropodes ont un delicieux gout de crevette.

La course au Cambodge

Separes d'Eneko, notre cycliste basque, nous prevoyons de le rejoindre le jour de Noel a Siem Reap au Cambodge. Sept cents kilometres nous en separent alors et nous n'avons que 6 jours pour les parcourir. Un rythme de 120 km par jour est decide, au grand dam de nos comperes anglais qui nous abandonnent pour Bangkok apres trois jours de route commune.
Parviendrons nous a tenir ce rythme effreine pour arriver a temps au Cambodge? La reserve de rayons sera t-elle suffisante pour parcourir une telle distance? Le pneu thailandais resistera t-il?  Toutes ces questions palpitantes seront elucidees, amis lecteurs, dans le prochain article!

(1) Nous en avons fait la malheureuse experience lors de notre sejour dans le village de Soptod!
(2) Depuis le sud du Yunnan, les matinees demarrent systematiquement par une epaisse brume qu'un soleil intense dissipe en debut d'apres midi.C'est alors LE moment pour faire secher les affaires!
(3) Apres avoir perce plusieurs fois la chambre a air...

vendredi 12 décembre 2014

Le pays du million d'elephants


Premieres impressions:

Si l'entree en Chine fut penible, la sortie en est singulierement rapide. Cote Laos, le visa est realise en 5 moyennant 32 dollards chacun, nous n'ouvrons pas meme un sac. Passee la frontiere, la densite d'habitations et de cultures diminue radicalement pour laisser place a des collines sauvages aux allures de jungle d'ou emergent de grands arbres couverts de lianes et d'epiphytes a cote de bananiers poussant en grappes. Le long de la route, des papayers couverts de fruits, des hameaux d'habitations en bois sur pilotis ou courent des ribambelles d'enfants culs nus rappellent le Nicaragua. Mais surtout, apres deux mois en Chine, nous redecouvrons un plaisir simple: celui de rouler dans la nature en ecoutant le chant des grillons. A chaque coup de pedale qui nous eloigne des files de camions tonitruants, des mines de charbon a ciel ouvert ou des chantiers de gratte-ciel, nous savourons comme une delivrance chaque bouffee de ce nouvel air pur. Nous voici au Laos, ce petit pays d'environ 7 millions d'habitants, pourtant riche de la diversite de ses 49 differentes ethnies, chacune avec ses costumes, ses traditions et parfois sa langue propre.


La preuve que nous sommes arrives a pied par la Chine!
Premiers paysages apres la frontiere: Grandes rizieres et greniers sur pilotis
Nouveautes culinaires au marche de Luang Namta: nouilles molles de riz et boules de viande hachee geantes

Luang Namtha

Capitale de region, Luang Namtha ressemble plutot a un gros village au centre tres touristique ou des dizaines de chambres d'hotes remplissent la rue principale, chacune proposant des excursions aventure a pied , en vtt ou en canoe. Nous sommes surpris de croiser bon nombre de touristes occidentaux, espece presque absente sur notre parcours en Chine. Un cafe internet nous permet en outre de redecouvrir les possibilites de ce merveilleux outil (et envoyer le dernier article)! Enfin, nos debuts hesitants en Lao sont facilites par une pratique assez generalisee de l'anglais (1).
Attires par une offre redigee sur tableau noir, nous apprenons l'existence d'un (tres) jeune projet recherchant des volontaires pour realiser des cours d'anglais, construire une maison et planter un jardin dans un village voisin. Apres une longue discussion avec le responsable, nous decidons d'y consacrer une semaine malgre son apparence chaotique.  

Changement du troisieme rayon depuis la frontiere!
Nettoyage du filtre du captage d'eau du village, encrasse par des racines.
La riviere qui sert de salle de bain est quand meme assez fraiche!

Une semaine a Soptod

Nous rejoignons a velo le village Yao Mun  de Soptod, situe sur une piste a une vingtaine de kilometres de Luang Namtha. Au bord d'une large riviere boueuse ou jouent des enfants tous nus, une dizaine d'habitations sur pilotis aux toits de chaume ou de tole ondulee apparaissent. Des cochons noirs font la sieste sur la terre battue, chiens maigres et poules se disputent quelques dechets qui jonchent le sol. Nous apprenons la situation critique du village: depuis une dizaine d'annees, une societe chinoise a enserre le village dans une plantation d'heveas de grande envergure, obligeant les habitants a deplacer leurs champs de riz a trois heures de marche de la, ou ils doivent dormir en semaine, ce qui explique la vacuite du village. Les heveas sont en outre accuses d'avoir tari l'unique source d'eau -on nous repete que "les chinois nous ont pris l'eau"- depuis plusieurs annees les habitants (2) font la queue a la fontaine d'ou s'echappe un mince filet d'eau. Peu convaincus par les projets de construction de maison des volontaires (3), nous decidons de nous consacrer au plus urgent et, guides par quelques villageois, nous gagnons le captage d'eau situe a une demie heure de marche dans la jungle. La cause de la penurie d'eau se revele etre un tuyau brise et obstrue par des racines. Apres nettoyage et remplacement, l'eau reafflue dans le village!

La peche a ete bonne: nous ramenons en moto une parabole de 1.7m de diametre!
Etape suivante: casser les miroirs en petits morceaux, puis les arranger et les coller: une mission pour la reine des puzzles!
Premiers essais concluants. Le four parvient a enflammer du bois en quelques secondes avec a peine un tiers de la puissance!

Quelques bricolages

Nous nous consacrons ensuite a la construction d'un four a concentration solaire en recyclant un materiau largement abondant ici: l'antenne parabolique. Enfin, la decharge de Luang Namtha nous fournit les bidons necessaires a la realisation d'un rechaud a bois a double combustion: oui, la version familiale de notre bushcooker! Ces deux instruments de cuisine sont d'abord destines a diminuer la consommation de bois des volontaires successifs du projets, mais nous revons bien sur de voir ces prototypes duppliques (4)... Nous quittons en bout d'une semaine ce village fantome ou l'eau coule a nouveau mais qui n'a pas fini de lutter pour survivre.

Le rechaud a double combustion fonctionne au dela de nos attentes: c'est presque un peu chaud pour cuisiner :-)
Notre principal regime (alimentaire) depuis le Yunnan.
Cuisine traditionnelle du Laos: soupe de nouilles accompagnee de salades diverses, cuites et crues.

Du risque de dessiner ses propres routes au stylo

Nous continuons la piste vers le sud, en suivant un trait dessine au stylo sur notre carte par un habitant de Soptod. Celle-ci doit nous mener jusqu'aux bords du Mekong quelques 200 km plus bas. Nous passerons 4 jours a lutter sous un soleil de plomb sur une piste qui alterne les raidillons severes (5) et les plongees brutales que nous devalons au ralenti en zigzagant dans les cailloux. Ce regime enrichi en secousses sollicite durement nos pneus. L'avant se dechire partiellement sur une pierre et l'arriere finit par dejanter: il laisse eclater la chambre a air comme un coup de feu qui nous saisit en descente. Les fameux Schwalbe Marathon sont concus pour durer 10 000 km et nous nous en approchons... Nous esperons toutefois les faire encore durer.
Lors des quatre jours de piste, nous traverserons de nombreux villages Kmhmu, ce peuple du Laos specialise dans la vannerie. Les femmes coiffees d'un linge colore fument de longues pipes tombantes ou des cigares artisanaux bourres de tabac produit localement en tricotant des sacs de coton mailles. Lorsque nous nous y arretons, nous sommes rapidement entoures par une foule d'enfants ou d'adultes curieux qui nous observe en silence, riant lorsque Marlene leche son assiette ou qu'Olivier se frise la moustache. Puis cet itineraire insolite s'aplanit peu a peu et le goudron reapparait a notre grand soulagement. Nous atteignons la plaine du Mekong et ses habitants souriants qui accompagnent notre route de "Sabai Dee" (bonjour) joyeux.


Entree d'un village au sud de Luang Namta. Les maisons en bois sur pilotis rappellent fortement les communautes du Nicaragua.
Procession de porteuses de bois au petit matin. La piste alterne les mechants raidillons et les descentes brutales.
Vue de la suite de l'itineraire apres trois jours de piste: nous ne sommes pas encore sortis d'affaire!
(1) Par comparaison, nous avons rencontres seulement 5 personnes connaissant plus que deux mots d'anglais en 2 mois en Chine...
(2) Essentiellement les habitants restant dans le village: personnes agees et les enfants.
(3) Nous detectons le risque du projet de s' "autoalimenter" : l'essentiel des activites des volontaires commence a se tourner vers la preparation de l'arrivee de nouveaux volontaires au detriment des cours d'anglais...
(4) En Chine, des fours solaires a concentration bricoles se rencontrent regulierement...
(5) Les 1000 metres de denivelee sont quotidiennement passes au bout de 30 km.